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Le destrier



Le cheval :

« Il y a trois sortes de chevaux. Le premier est le noble cheval de guerre, capable de porter de lourdes charges. »

Bestiaire d’ Aberdeen, Aberdeen University Library, Univ. Lib. MS 24, f°23r1 [1]


Cette « lourde charge » du cavalier et de son armure font généralement penser à un robuste cheval de type percheron (800 kg). Pierre BOUET, dans son Hastings (2010:44), montre une réalité différente du cheval de guerre normand.


Tout d’abord, il indique une continuité dans l’élevage équin lorsque les haras carolingiens furent repris par les Normands (Vaudreuil, Lillebonne, Maulévrier, Roumare, Longboël et Andelys). Certains monastères possédaient leur propre haras ainsi que les ducs. Des haras personnels ducaux se trouvaient près de Quevilly, Bonneville sur Touques, Caen et Falaise.

La sélection s’y fait d’un cheval petit, rapide sur courte distance, moins impétueux que les chevaux espagnols. En conservant la petite taille, l’endurance et une partie de la rapidité des chevaux d’Espagne, on a obtenu un cheval de guerre mesurant 1m50 au garot et pesant 350 à 500kg, soit la moitié environ d’un percheron. Il donne l’exemple de  Richard, fils d’Ascletin d’Aversa qui aimait à monter des chevaux si petits que ses pieds touchaient presque le sol. (Bouet 2010:41).


Pierre Bouet indique deux sources de l’utilisation des chevaux d’Espagne par Guillaume le Conquérant :

 

 

Il complète en évoquant les liens entre les chevaliers normands et l’Espagne avec la présence de Roger de Tosny à Barcelone en 1022 et de son fils Raoul de Tosny, au siège de Barbastro, en 1064.



Le matériel :

Au XIIe siècle, le fer à cheval2 [2], les étriers3 [3] et les éperons4 [4] sont utilisés.

Lors de la 3e Croisade, Richard emmène 50 000 fers à cheval des forges de la forêt de Dean.


La protection des chevaux à la guerre :

Ce sont les fantassins en armure lourde, gambison et haubert de mailles, qui, disposés sur les côtés du cheval, garantissent sa sécurité jusqu’au moment de la charge.

C’est la tactique utilisée par Richard Cœur de Lion pour descendre d’ Acre vers Jaffa en 1191. Il longe la mer pour être ravitaillé par navire, et partage ses fantassins en deux groupes qui permutent, un qui protège la colonne des chevaliers de l’armée en marche, du côté du désert et du harcèlement des archers montés turcs, l’autre  « au repos », en marche dans l’espace protégé entre les cavaliers et la mer (Gillingham 1996:254). La marche de l’armée est réglée sur l’infanterie et les chariots. Cette disposition a tenu sur les deux semaines du trajet et a amené Saladin a déployer son armée au sortir de la forêt d’Arsuf.

C’est la même technique qui est utilisée par les francs, ce 7 septembre 1191, mais cette fois, sur l’avant des chevaux, jusqu’au lancement de la charge.


Claude Blair (1958/1979:184) indique que les caparaçons de mailles ont été utilisés par la cavalerie lourde romaine puis qu’il n’en fut plus fait mention, ni dans les textes, ni dans les représentations, entre le VIe siècle et la fin du XIIe siècle. Pour lui, la mention de Wace dans son roman de Rou d’un cheval protégé à la bataille d’Hastings, fait référence à une armure de son époque à lui (1160-1174), ce qui même là, restait exceptionnel5 [5] :

 » Vint Willame li filz Osber, son cheval tot covert de fer. »6 [6]


Les destriers dans les bestiaires et les chansons de geste :

Ce sont les destriers qui ont reçu un entraînement, sont capables de refuser leur dos à quiconque n’est pas leur maître et sont décrits comme capable de pleurer ce dernier.

« Certains chevaux reconnaissent leur maître, et si celui-ci vient à changer, oublient leur entraînement. D’autres ne laissent personne monter sur leur dos excepté leur maître – nous allons donner un exemple de ceci.


Le cheval du renommé Alexandre le Grand s’appelait Bucéphale, soit à cause de son apparence sauvage, ou à cause de sa marque – il avait une tête de taureau brûlée sur son épaule – ou à cause des pointes de petites cornes qui avaient poussé sur son front. Bien qu’il fut chevauché parfois, sans résistance de sa part, par son valet d’écurie, à partir du moment qu’il portait la selle royale, il ne daignait plus porter quiconque que son maître le roi. Il y a de nombreux récits de ce cheval dans des bataille dans lesquelles, grâce à lui, Alexandre traversa sain et sauf  les plus terribles combats. Le cheval de Gaius Caesar n’autorisait personne sur son dos hormis Caesar. Lorsque le roi des Scythes fut tué en combat singulier, son adversaire victorieux chercha à piller son corps mais il fut malmené par le cheval du roi, qui le frappa et le mordit. Lorsque le roi Nicomedes fut tué, son cheval se laissa mourir de faim. Lorsqu’ Antiochus conquis les Galates, il sauta sur le cheval d’un général, Cintaretus, qui était tombé à la bataille, pour continuer à se battre. Mais le cheval réagit tellement au mors qu’il se laissa tomber délibérément, se blessant et blessant son cavalier dans la chute. » Bestiaire d’Aberdeen, vers 1200.7 [7]


Ces pleurs de destrier sont des larmes de joie lorsque Broiefort retrouve son maître, Ogier le Danois, après sept années de séparation (Pastoureau 2011:101).


Dans les chansons de geste, le destrier du héros est un animal exceptionnel qui, comme les chevaux offerts au duc Guillaume, mentionnés par Guillaume de Poitiers, porte un nom :


Tencedor, cheval de Charlemagne ; (Pastoureau 2011:101)

Veillantif, cheval de Roland ;

Baucent, cheval de Guillaume d’Orange ;

Morel, cheval de Sone de Nansay.


Bibliographie :

Sources éditées :

Etudes :


Artaud

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(remplacer le – par @)


Last updated: lundi 30 juillet 2018


Notes :

  1. Site officiel : http://www.abdn.ac.uk/bestiary/intro.hti [8] , notre traduction en français de l’article cheval [10] [ [11]]
  2. Déjà présent au castrum d’Andone, fin Xe s.- début XIe s.. La présence de fers orthopédiques montre une maîtrise du ferrage des chevaux (Bourgeois 2009). [ [12]]
  3. Les étriers et les éperons sont représentés fin XIe s. comme équipement de l’ensemble de la cavalerie, fin XIe s., sur la Tapisserie de Bayeux, également sur le reliquaire d’Ivoire de San Millan de la Cogolla. La récente exposition sur les mondes vikings au British Museum situe l’apparition de l’usage de l’étrier approximativement à l’époque de Henri Ier l’Oiseleur (919-936), début Xe siècle, lorsqu’il tenta d’améliorer ses forces militaires en entraînant les saxons au maniement du cheval suite aux attaques hongroises. Collectif, Vikings, life and legend, catalogue de l’exposition du 6 mars au 22 juin 2014 du British Museum, 2014, p147 et étriers n°45 et 46 p148 de Starigard/Oldenburg Xe s.; étrier vers 920 retrouvé sur le camp Viking de Pléran à Plédran (Jean-Pierre Nicolardot 1991:fig.44 p.74 [ [13]]
  4. Au IXe siècle, à Locronan, les fers à chevaux et l’éperon retrouvés marquent le haut statut social (Guigon 1994). Deux éperons fin Xe-début XIe retrouvés sur la motte de Loisy (Boidard 2002:21,23). [ [14]]
  5. Il mentionne une première représentation d’un cheval caparaçonné de mailles sur les murs de la Chambre peinte de Westminster mi-XIIIe siècle. Un inventaire des armures de Guillaume de Hainaut de 1358 vient attester de l’objet au XIVe s. : « ii paires de couvertures de chevaus, de fier de maille et une paire de couvertures de fier de plattes » [ [15]]
  6. l.12627 dans Le Roman de Rou de Wace par Frédéric Pluquet, 1827, p 191 (googlebooks) [9] [ [16]]
  7. Site officiel : http://www.abdn.ac.uk/bestiary/intro.hti [8] , notre traduction en français de l’article cheval [10]. La description du destrier de Brunet Latin dans le Livre du trésor, vers 1260, citée dans Pastoureau, 2011, p 102, est une reprise à 90% de ce texte. De même, la description « plus prosaïque » de Pierre de Crescens, début XIVe s., sur la même page, de la façon de choisir un bon cheval est calquée sur le texte déjà présent vers 1200 dans le bestiaire d’Aberdeen. Sur cet article du cheval, il semble que Michel PASTOUREAU accuse les bestiaires d’en dire moins qu’ils ne le font vraiment. [ [17]]
[18] [19]