La nécessaire identification des chevaliers




Au XIème siècle, les chevaliers sont nommés dans les textes les fervestis1, « ceux qui sont vêtus de fer » car leurs pièces d’armure de mailles les couvrent des pieds à la tête : jambières, haubert et camail2. Elles les rendent méconnaissables et les contraignent à s’époumoner de leur cri de guerre respectif. C’est ainsi qu’à la bataille d’Hastings, dans le fracas des armes, les « Thor Aïe ! » des Saxons d’Harold s’entremêleront aux « Dies Aïe ! » des  Normands de Guillaume.

 

Un système d’identification devient nécessaire: voici l’une des raisons de la mise en place des armoiries.

Laurent Hablot montre que ce n’est probablement pas la seule.3

 

En 1049, avant un combat opposant le duc d’Anjou et Guillaume duc de Normandie, les deux belligérants se sont fait décrire la couleur des vêtements, la robe du cheval et le bouclier de l’adversaire.4

 

C’est la plus ancienne description d’un combattant par un code de couleur.

 

Sur ce panneau nous observons deux scènes de la tapisserie dite de la reine Mathilde ou « Telle du Conquest », narrant la conquête de l’Angleterre par Guillaume le bâtard, duc de Normandie, brodée entre 1067 et 10705.


Dans cette première scène, nous discernons une charge de la cavalerie normande contre les fantassins anglais ; détaillons l’armement offensif et défensif des deux camps en présence :


côté normand : lances, flèches (on les remarque sur les boucliers des anglais),

épées à une main, casque à nasal, camail, haubert de maille et bouclier en « goutte d’eau ».

Tracé d’après la Tapisserie de Bayeux, Blanche, Aisling-1198

côté anglais : lances, flèches, épées à une main et haches des housecarls6, casques à nasal, camails, hauberts de mailles et boucliers en « goutte d’eau », aussi appelés boucliers normands.



Les différences entre les Anglais et les Normands sont bien minces.

Sur le reste de la Tapisserie, on remarque que les deux camps utilisent les même emblèmes :

croix, dragon, bouclier uni… mais qu’Anglais et Normands portent les mêmes

et que un chevalier peut même changer de signes de reconnaissance d’une scène à l’autre.

Nous ne pouvons donc pas encore parler de la notion d’armoiries.



D’après la Tapisserie de Bayeux, Blanche, Aisling-1198


D’après la Tapisserie de Bayeux, Blanche, détail

Dans cette seconde scène, une rumeur circule dans les rangs normands, le duc Guillaume serait mort. Avant que ses troupes ne cèdent à la panique, le duc prend le risque en pleine bataille de relever son casque à nasal afin de rassurer ses chevaliers en se faisant reconnaître d’eux. Même ses partisans les plus fervents ne l’avaient pas reconnu.






La barre que constitue le nasal au milieu du visage empêche l’identification du chevalier.


Les deux parchemins suivants sont reproduits d’après les calques de l’Hortus deliciarium, manuscrit alsacien (1175-1185), de Herrade de Landsberg (11­67-1195), abbesse du couvent du mont Sainte Odile :


Encre sur parchemin, Ysaurianne, Aisling-1198

Encre sur parchemin, Blanche, Aisling-1198


Un casque typique du XIIème siècle : le casque à ventail ou heaume à ventail est présent sur le folio 14, dans lequel le roi Salomon dort gardé par soixante chevaliers ayant accroché leur bouclier à la tour de David, symbole du Christ gardé par les vertus et illuminé par la lumière éternelle.

L’identification est devenue impossible.


Encre sur parchemin, Ysaurianne, Aisling-1198

Encre sur parchemin, Blanche, Aisling-1198

 




La tenue d’un chevalier à la fin du XIIème siècle. folio 8 : dépouillement de trois chevaliers par la Rapacité, fille de l’Avarice dans le cadre de la lutte des vertus contre les vices ;




 

 

Le moment est critique. A partir de ce moment tout va aller très vite.

Selon Michel Pastoureau7, « l’Hortus Deliciarum semble en effet être

l’un des derniers manuscrits dont les miniatures montrent des écus vierges de toute ornementation. »

Les premiers blasons apparaissent au premier quart du XIIème siècle sur les sceaux. Toutefois, les manuscrits deviendront de précieux alliés en matière de recherches héraldiques en apportant l’élément chromatique.




 

Blanche




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Notes:

  1. « Puis sont monté li bon vassal de pris Qui tuit estoient armés et fervesti. » Aymeri de Narbonne []
  2. cagoule de cotte de mailles []
  3. HABLOT Laurent,2011, L’héraldisation du sacré aux XIIe-XIIIe siècles. Une mise en scène de la religion chevaleresque ? in: M. Aurell et C. Girbea (dir.). Chevalerie & christianisme aux XIIe et XIIIe siècles., Presses universitaires de Rennes, Histoire, pp.211-233, p 212 :« Plus probablement, l’usage d’armoiries par la classe chevaleresque résulte d’un phénomène de contamination depuis les princes aux sires et les seigneurs à leurs chevaliers. Le monde du tournoi primitif pourrait parfaitement avoir porté la mise en place de cette insignologie qui reste sans doute d’abord un marqueur social avant d’être un signe de reconnaissance militaire. » []
  4. Gesta Guillemi Ducis Normanorum, Guillaume de Poitiers []
  5. BOUET Pierre, 2010, Hastings, 14 octobre 1066, Éditions Tallandier. p.15. []
  6. soldat d’élite saxon ou nordique qui utilise principalement la hache et le mur de bouclier []
  7. Traité d’héraldique, Michel PASTOUREAU, Grands manuels Picard, 1997,  3ème édition, note n°49 p33 []

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