Extraits du Livre des jeux d’Alphonse X, 1283


Last updated: mardi 22 décembre 2015


Les extraits présentés ici sont ceux qui ont déjà été publiés sur certaines de nos fiches de jeux (certaines règles de tables), dans notre article sur l’alquerque avec Brigitte Mérigot ou par elle-même dans son article « Le voyage du backgammon de l’Antiquité au XIIIe siècle » (2012).


Les textes qui sont produits ici ont été remaniés depuis 2012 et sont le fruit d’un échange régulier entre Brigitte Mérigot (Aléa et ses jeux) et Aisling-1198.

Les traductions ont été réalisées par Brigitte Mérigot, Sylvestre Jonquay et Chloé Jonquay-Candéla d’après :

ALFONSO X EL SABIO, Libro de los juegos : acedrex, dados e tablas, Ordenamiento de las tafurerias, Biblioteca Castro, Fundacion Jose Antonio de Castro, Madrid, 2007,


Puis elles ont été comparées aux traductions anglaises de

MUSSER GOLLADAY Sonja, Los libros de acedrex dados e tables : historical, artistic and metaphysical dimensions of Alfonso X’s book of games, Thèse de doctorat de l’Université d’Arizona, Département Espagnol et Portuguais, 2007;



Introduction du livre des tables;

Quinze tables;

Doublets;

La faille;

Toutes tables;

 



 


ICI COMMENCE LE LIVRE DES JEUX DE TABLES

f°72r


NOUS PARLONS EN PREMIER DE COMMENT DOIVENT ÊTRE FABRIQUÉS LE TABLIER ET LES TABLES, ET DE COMBIEN ELLES DOIVENT ÊTRE, ET DE CE QUE SONT À CE JEU LA PRIME1 ET LE MATCH NUL, ET AUSSI DE COMMENT ILS NÉCESSITENT LES DÉS POUR S’Y GUIDER ET FAIRE SON JEU LE PLUS SUBTIL POSSIBLE.


Après avoir parlé des dés aussi complètement que possible nous souhaitons maintenant parler ici des tables, et comment elles pourraient nécessiter des dés pour jouer qui montrent le hasard, alors qu’elles doivent être jouées habilement par le raisonnement là où il le faut, et aussi par le hasard.


Ainsi, nous souhaitons parler d’elles à présent ici.


Et nous disons donc que le tablier sur lequel elles doivent être jouées doit être carré, et au milieu, il doit y avoir une séparation afin d’obtenir quatre quarts, et dans chaque quart, il doit y avoir six emplacements, qui ensemble font vingt-quatre.


Et comme dans certains pays ils fabriquent les emplacements des tabliers à plat, peints, et aussi les tables avec lesquelles ils jouent de forme carrées ou rondes, et qu’ils ne font pas d’endroit convenable pour les encastrer, pour ces raisons il fut jugé préférable d’ajouter au tablier des barres de bois, taillées à la manière de demie roues dans lesquelles les pièces, qui devaient être rondes, pouvaient s’intégrer.


Et aussi, de mettre une moitié des pièces d’une couleur et l’autre moitié d’une autre afin d’être reconnues les unes des autres. Et elles doivent être quinze de chaque couleur, pour que dans le premier quart du tablier on puisse en poser deux dans chaque emplacement et laisser les trois autres à l’extérieur pour gagner le jeu par prime ou obtenir un match nul2 si nécessaire, car sans ces dernières, cela ne serait pas possible.


Et pour cette raison, on place les tables doublées pour que, comme au jeu d’échec, le pion qui se retrouve seul séparé des autres et de leur protection peut-être capturé, de même au jeu des tables, si elles ne sont pas doublées, l’autre joueur qui obtiendrait le score qui conviendrait à cette case pourrait prendre cette table seule, et il n’y a personne qui la défende.


La prime des tables est lorsqu’un joueur capture tellement de tables à l’autre qu’il n’a alors plus de cases dans lesquelles les entrer alors il perd le jeu.3 Et le match nul est lorsqu’un joueur a peu de tables, qu’il les rentre et qu’aucun des deux joueurs ne peut plus jouer même s’il le souhaite.


De la même façon pour la prime qui ne pourrait pas se faire sans ces trois tables, en plus des douze premières.


Les dés sont indispensables aux tables, car, tout comme le corps ne pourrait se mouvoir sans les pieds, les tables aussi ne pourraient se déplacer sans les dés quel que soit la règle, car contraintes par les scores des dés, elles doivent jouer sur les emplacements qu’ils leurs indiquent.


Et le marquage du tablier est tel que les emplacements des quarts intérieurs du tablier s’obtiennent par les points des dés de cette façon, la première division du tablier contre l’oreille à côté de laquelle il n’y a pas d’emplacement4, est pour le six, et l’autre à côté est pour le cinq, et l’autre le quatre, et l’autre le trois, et l’autre le deux et l’autre le un.


Ainsi, celui qui voudrait compter à partir de cette case qui est près de la barre où il n’y a pas de cases5, vers le quart suivant du tablier qui se trouve à côté devrait faire un six pour la première case du quart d’à côté. Et ceci car on ne compte jamais la case où se trouve la table, car si elle se comptait et qu’il advenait un as,  elle se retrouverait sur cette même case et pour cela, les six et tous les autres scores doivent être comptés à partir de l’autre case, la seconde, qui se trouve à côté en avançant. Et de cette façon, les dés font courir les tables à l’intérieur, et font les jeux comme vous le verrez dans ce livre.


De plus, ceux qui souhaiteraient apprendre à jouer correctement doivent d’abord savoir combien de points amènent à chaque case, en ne comptant pas celle de départ.




CECI EST LE PREMIER JEU QUE L’ON NOMME LES QUINZE TABLES

texte f°73r, miniature f°73v (voir la miniature sur RengeekCentral)


Le premier de ces jeux de tables est celui que l’on nomme les Quinze tables ou les six, ou autant que l’on  peut en mettre de quinze à 1.



 

CE JEU QUE L’ON APPELLE DOUBLET

texte f°74r, miniature f°74v (voir la miniature sur RengeekCentral)


L’autre jeu de tables que l’on appelle Doublet et qui se joue de cette façon.

Chacun des joueurs doit tenir les douze tables et les poser doublées l’une sur l’autre, chacun dans son quart de tablier, l’un en face de l’autre.

Celui qui gagne la bataille de dés lancera en premier.

Ils doivent désempiler ces douze pièces qui sont sur les autres par le nombre de points des dés et doivent également les sortir, et celui qui les sortira en premier gagnera le jeu.

Et si par hasard l’un des joueurs obtenait un score pour lequel il n’y ait pas de tables à jouer, tant à désempiler qu’à sortir, ce score devrait être joué par l’autre joueur.

Et de cette façon, il arrive de nombreuses fois qu’un des joueurs gagnera par les scores que l’autre joueur aura lancé.

Et ceci décrit le commencement du jeu et la figure montre la disposition sur le tablier.

Voir notre fiche de jeu « Doublets »




CECI EST LE JEU QU’ON APPELLE LES FAILLES.

Texte f°74v, miniature f°75r (voir la miniature sur RengeekCentral)


Il y a un autre jeu de tables qui se nomme les « Failles » et qui se dispose ainsi sur le tablier : treize des quinze tables sont placées sur la sixième case à l’intérieur du premier quart du tablier, et les deux restantes se posent dans leur case qui est contre le coin extérieur du quart du tablier qui se trouve en face. Et le joueur qui possède ce quart de tablier dispose ses tables comme nous l’avons décrit. Quand les tables sont ainsi disposées, chacun des joueurs doit essayer d’emmener ces deux tables jusqu’à son propre quart aussi vite qu’il peut, parce qu’ici, il doit les organiser de façon à ce qu’elles soient en sécurité, et en les sortant, il doit prendre garde que l’autre joueur ne puisse pas les prendre.


Parce que si non, il devra les faire repartir dans le tablier où elles ont commencé en premier.

Et s’il trouvait les pièces de l’autre joueur là où il doit entrer, il faillirait parce qu’il ne pourrait pas entrer, et donc, il perdrait le jeu.


De la même façon, le joueur qui lancerait les dès de telle manière qu’il n’ait pas d’autre endroit où aller, excepté sur la maison que l’autre joueur a occupée, perdrait le jeu car il faillirait.

Pour cette raison, on appelle ce jeu les Failles.


Mais on peut perdre ou gagner d’une autre façon :

S’il arrivait que chacun des joueurs conduise ses pièces en sécurité à l’intérieur de son quart de tablier, sans se faire prendre, le premier qui sortirait ses pièces gagnerait le jeu.

Et voici la disposition initiale du jeu.

Voir notre fiche de jeu « Failles »



 

Le jeu que l’on appelle Toutes Tables,

Texte f°77v, miniature f°78r (voir la miniature, erronée, sur Rengeekcentral)

todas tablas vieux castillan decompressé

Transcription du texte en vieux castillan, non abrégé, mais en respectant les repères de pagination du folio 77v, Aisling-1198


Voici un autre jeu que l’on appelle Toutes Tables, parce qu’il est établi entièrement sur les quatre quadrants du tablier.


Dans les deux quadrants , l’un en face de l’autre, on pose en premier dans la maison du six, cinq tables d’une couleur et de cette même couleur on pose deux pions sur la maison de l’as qui est en face.6


Dans le même quadrant, à l’opposé on pose les pions comme nous l’avons décrit.


Dans les deux autres quadrants, qui sont à côté de ceux-ci, on pose cinq pions  dans la maison de l’as de la couleur des cinq autres jetons qui ont été posés sur la case six, et sur la maison du cinq on pose trois pions, de chacune de ces couleurs.


Et on joue comme ceci : celui qui a la main choisira le côté qu’il souhaite et fera traverser les deux pions de la maison de l’as vers la maison du six où il a les cinq pions.


Mais si certains pions sont pris, ils doivent être remis dans le quadrant où il y a les deux pions sur la maison de l’as, et de là, le joueur  doit les amener dans le quadrant des cinq jetons sur la maison du six, d’où il doit les sortir.


Et ce jeu se joue avec deux dés.


Voir notre fiche du Toutes tables.


Notes :

  1. Ce terme barata n’a pas, semble-t-il, la même valeur à toutes les règles de tables. A l’Empereur, il correspond à la prime de 6 cases, position de blocage ultime sur six cases consécutives. La traduction en français moderne de ce terme semble être le terme prime. Sonja MUSSER GOLLADAY évoque l’ancien français barat ou barate qui a pu désigner « 1) ruse, tromperie, fourberie; 2) confusion et tapage : Granz barates e granz meslees (Wace); 3) élégance et ostentation; 4) divertissement » (Dictionnaire de l’ancien français jusqu’au milieu du XIVe siècle, Larousse, 1969, article « barat » et qui semble une bonne piste pour l’étymologie de ce terme barata désignant une stratégie gagnante. []
  2. La manera d’ellas, mañar : l’égalité, égaliser, faire match nul []
  3. C’est ici une autre définition de la prime qu’à la règle de l’Empereur. []
  4. MUSSER 2007 parle d’erreur de scribe, mais il me semble que les emplacements sans cases sont deux, le bord et la barre centrale, et qu’entre ces deux phrases, celle-ci et la suivante, il s’agit justement des deux et pas forcément d’une erreur de scribe. []
  5. Le bord []
  6. Bonne traduction, c’est l’enluminure qui ne correspond pas. []

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